Le choix
Nous prenons tous des milliers de décisions au cours de notre vie. Quotidiennement, nous sommes confrontés à une multitude de choix, aussi insignifiants puissent-ils paraître. Et comme si cela ne suffisait pas, la publicité nous en suggère encore davantage. Ce bombardement intense d’informations influence inévitablement nos comportements. C’est le paradoxe du choix : au lieu de nous faciliter la vie, de nous offrir plus, l’abondance d’options nous égare. C’est, entre autres, ce qu’explique le psychologue américain Barry Schwartz dans son livre The Paradox of Choice : trop, c’est comme pas assez. Ainsi, vient la difficulté de faire des choix.
Cela me rappelle une étude menée par des chercheurs qui se sont penchés sur ce sujet. Il avaient élaboré une expérience dans un magasin d’alimentation où l'on pouvait y retrouver deux ou trois marques d’huile d’olive depuis presque toujours. Ils proposèrent au commerçant d’élargir son offre en proposant davantage de marques, pensant ainsi mieux répondre aux attentes des clients. Cependant, confrontés à un trop grand nombre de choix, ces derniers se retrouvèrent indécis et perplexe devant l'offre, ce qui entraîna une baisse des ventes. Cet exemple, en apparence anodin, met en lumière deux comportements essentiels : l’effort cognitif nécessaire pour être certain de faire le bon choix et la fatigue, voire la détresse, qui peut en résulter. Cette fatigue décisionnelle peut mener à des achats impulsifs simplement pour en finir avec l’indécision, à l'achat "facile" ou à l’abandon pur et simple de l’achat.
Faire un choix éclairé exige en effet un effort considérable, car il s’agit d’un processus multifactoriel. Nous devons analyser plusieurs variables et en faire une synthèse rapide, souvent en quelques minutes, comme lorsqu’on se retrouve devant un rayon d’épicerie surchargé. Pour tous et chacun, c’est un défi d’autant plus grand dans une journée déjà bien remplie. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous développons des habitudes d’achat : elles nous permettent de prendre des décisions plus rapidement en nous appuyant sur des choix passés. Cependant, la nouveauté cherche toujours à capter notre attention et à bousculer ces habitudes, voir à s'y intégrer.
Qu’il s’agisse d’une décision individuelle aussi banale que le choix d’un paquet de pâtes alimentaires ou d’une décision collective comme la sélection du mobilier pour une école, tout choix implique un processus et souvent un consensus. Pour bien définir ce processus, il est primordial d’analyser le contexte dans lequel s’inscrit la décision. À qui s’adresse le produit ? Où sera-t-il utilisé ? D’où provient-il ? Quels usages peut-on en faire ? Ainsi, avant d’analyser le produit lui-même, il faut d’abord examiner son contexte. Simplifier la prise de décision passe donc par une meilleure compréhension de nos besoins réels. Mais en réalité, je crois que cela serait réducteur de s'en tenir aux besoins, cela va encore plus loin : il s’agit d’envisager l’expérience complète que nous aurons avec le produit, et c'est ce qui constitue souvent l’aspect le plus difficile.
En 2008, je terminais mon mémoire de maîtrise à Helsinki, en Finlande, intitulé Toward Meaningfulness. Cet ouvrage explorait les liens entre les individus et leur culture matérielle, en s’interrogeant sur les raisons de l’attachement que nous entretenons avec les objets et sur les motivations qui nous poussent à les choisir et à nous y engager. Selon deux chercheurs néerlandais de l’Université de Delft (Hekkert et Desmet), notre expérience avec un produit repose sur trois concepts fondamentaux : le sens, l’émotion et l’esthétique. L’esthétique correspond à la perception sensorielle de l’objet (toucher, vue, ouïe, etc.). Le sens, quant à lui, renvoie à la dimension plus rationnelle du produit : son utilité, son impact, sa signification et les souvenirs qu’il peut évoquer. Enfin, l’émotion définit la relation affective que nous entretenons avec l’objet, expliquant pourquoi nous réagissons différemment face à certains produits. C’est cette dimension émotionnelle qui peut renforcer ou briser notre lien avec un objet.
Ainsi, il est essentiel que les produits soient conçus et acquis dans le but ultime de générer une expérience positive, non seulement pour nous, mais aussi pour notre environnement. Trop souvent, nous dissocions l’humain de la nature, alors que cette dernière peut exister sans nous, tandis que l’inverse est faux. Nos choix devraient donc être guidés par cette expérience positive, qui allie sens, émotion et esthétique. Mais dans la réalité, comment cela se traduit-il ? Qu’est-ce qui caractérise vraiment ces décisions multifactorielles ? Et même, est-ce que l’intelligence artificielle pourrait nous aider à mieux choisir ? C’est fort possible, mais au-delà du choix lui-même, la réponse se trouve avant tout dans notre cœur et notre esprit.
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We all make thousands of decisions throughout our lives. Every day, we are faced with a multitude of choices, no matter how insignificant they may seem. And as if that weren’t enough, advertising suggests even more to us. This intense bombardment of information inevitably influences our behavior. This is the paradox of choice: instead of making our lives easier by offering us more, the abundance of options confuses us. This is, among other things, what American psychologist Barry Schwartz explains in his book The Paradox of Choice: too much is like not enough. Thus, comes the difficulty of making decisions.
This reminds me of a study conducted by researchers who explored this issue. They devised an experiment in a grocery store where only two or three brands of olive oil had been available for a long time. They proposed to the store owner to expand the selection by offering more brands, thinking it would better meet customer expectations. However, faced with an overwhelming number of choices, customers became indecisive and perplexed by the selection, leading to a decline in sales. This seemingly trivial example highlights two essential behaviors: the cognitive effort required to be confident in making the right choice and the fatigue, even distress, that can result. This decision fatigue can lead to impulsive purchases simply to end the indecision, to the "easy" purchase, or to abandoning the purchase altogether.
Making an informed decision indeed requires considerable effort, as it is a multifactorial process. We must analyze multiple variables and synthesize them quickly, often within minutes, like when faced with an overcrowded grocery aisle. For everyone, it is an even greater challenge in an already busy day. This is precisely why we develop shopping habits: they allow us to make decisions more quickly by relying on past choices. However, novelty always seeks to capture our attention and disrupt these habits, or even integrate into them.
Whether it is an individual decision as trivial as choosing a package of pasta or a collective decision such as selecting furniture for a school, every choice involves a process and often a consensus. To properly define this process, it is essential to analyze the context in which the decision is made. Who is the product intended for? Where will it be used? Where does it come from? What uses does it offer? Thus, before analyzing the product itself, one must first examine its context. Simplifying decision-making, therefore, involves a better understanding of our real needs. But in reality, I believe it would be reductive to focus solely on needs—it goes even further: it is about considering the complete experience we will have with the product, which is often the most challenging aspect.
In 2008, I completed my master’s thesis in Helsinki, Finland, entitled Toward Meaningfulness. This work explored the relationships between individuals and their material culture, questioning the reasons for our attachment to objects and the motivations that drive us to choose and engage with them. According to two Dutch researchers from Delft University (Hekkert and Desmet), our experience with a product is based on three fundamental concepts: meaning, emotion, and aesthetics. Aesthetics correspond to the sensory perception of the object (touch, sight, hearing, etc.). Meaning refers to the more rational dimension of the product: its utility, impact, significance, and the memories it can evoke. Finally, emotion defines the affective relationship we have with the object, explaining why we react differently to certain products. This emotional dimension can strengthen or break our bond with an object.
Thus, it is essential that products be designed and acquired with the ultimate goal of generating a positive experience, not only for us but also for our environment. Too often, we separate humans from nature, whereas the latter can exist without us, while the reverse is not true. Our choices should therefore be guided by this positive experience, which combines meaning, emotion, and aesthetics. But in reality, how does this translate? What truly characterizes these multifactorial decisions? And even, could artificial intelligence help us make better choices? It is quite possible, but beyond the choice itself, the answer lies first and foremost in our hearts and minds.